Londres, il y a quelques années de ça.
The day I met my nemesis
J'avais dix sept ans à l'époque, des rêves plein la tête, dont celui de décrocher la première place d'un concours du Let's Rock London Festival. Gagner offrait la chance unique de pouvoir se produire sur la scène dudit festival en compagnie d'artistes internationaux, et il n'était en aucun cas dans mes projets de laisser passer une chance pareille. Il n'y avait pas de petites victoires. Nous avions un groupe, Tybalt and the Three Messengers, mais aussi des adversaires de talent. Sauf une peut être... Satisfait de ma performance, j'avais repris ma place près de mes amis pour commenter les prestations des autres, parfois bonnes, parfois terribles. Nous étions pour notre part un petit groupe qui fréquentait le même lycée à Cambridge, alors imaginez vous bien la délectation qu'avait représenté la performance ratée d'une élève Oxfordienne qui avait tout simplement pété un plomb sur scène, baffé son guitariste (pas très bon d’ailleurs) et fuit en pleurs. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais il avait fallu que je la recroise un peu plus loin, après avoir en prime remporté le prestigieux concours. Avec le recul, elle avait vraiment dû prendre Tybalt and the three Messenger pour une sorte de pale copie des one direction. Ce qui ne serait même pas juger trop sévèrement le boys band dont je faisais partie il y a quelques années de ça et qui s'est bien vite séparé après le lycée. « C'est le jeu Oxford, on peut pas être bons partout. » Que n'avais-je pas dit là. Elle aurait pu avoir de l'humour... Mais non. Loin d'être psychologiquement prête à faire preuve d'auto dérision, la jolie brune s'était agitée dans tous les sens comme dans un sketch de théâtre. « De quoi tu te mêles ? Va te faire foutre avec ton trophée de pacotille, ce truc-là n’a aucune réelle importance, tu dois pas avoir grand chose dans ta vie pour t’en réjouir au point de venir l’agiter sous le nez des autres. » « Trophée que tu avais encore tes chances de gagner avant de frapper sauvagement ton guitariste. Bon il y avait quelques fausses notes, mais t'aurais pu éviter de finir dernière, au moins. » Trop fâchée Stowe s'en était allée pour éviter de m'assommer avec ce qui pourrait lui tomber tragiquement sous la main.

Deux ans plus tard, je ne me souviens pas exactement de quelle boat race il s'agissait, mais je rappelle bien comment Oxford a perdu, une fois de plus contre Cambridge. Bien parti pour gagner à la base, ils avaient été victimes d'un nouveau coup du sort. Baker ramait comme un malade, mais tout ce talent n'avait rien pu contre ce type qui avait tout simplement décidé de se jeter à l'eau pour aller tranquillement nager pendant la course. Panique à bord, succession d'incidents tragiques, Oxford avait une fois de plus sombré dans l'humiliation totale. Naturellement je m'étais alors enthousiasmé en ricanant sur le dos de l'université adverse. Peut être que j'aurais du faire attention à Stowe qui était juste à côté de moi. Des amis en commun ? Qui l'eut cru. D'ailleurs, si j' avais voulu l'éviter, je n'aurais pas vraiment réussi de toute façon. « Oups, désolée, j’ai perdu l’équilibre et je…Cambridge ? » « Oxford ? » J'avais rétorqué à moitié amusé, à moitié insolent, une marque de fabrique peut être empruntée à Draco Malfoy. « Jolie course... » Une fois de plus elle avait préfèré ignorer ma remarque pour discuter avec des amis de l'issue de la soirée. Une soirée étroitement liée à la mienne.

Quelques heures après avoir engagé la conversation avec à peu près tout le monde sauf Stowe, j'avais fini par émettre une très mauvaise idée. Un sing off, avec de l'alcool et Adele involved. « Allez Stowe, je commence à me demander si tu sais vraiment chanter... » Mauvaise idée, vraiment. Rolling in the deep, n'était pas le genre de chansons avec lesquelles on déconne. Et parce qu'on avait fini par s'envoyer en l'air sur du Queen dans l'appart de mon cousin, il avait fallu assumer en prime le lendemain matin. Ou presque. Stowe avait une façon tout à fait particulière d'assumer. Sourcil froncés, à peine réveillé, j'avais cru rêver en la voyant tenter de s'échapper par la fenêtre. Les bras croisés, je l'avais regardée d'en haut incrédule tandis qu'elle s'était laissée glisser dangereusement sur la gouttière dans ce qui devait être une tentative ratée de discrétion.

New york, 2016

Outre des choix de vie désastreux, des relations que je ne m'explique pas, même encore aujourd'hui, j'ai continué mon chemin de la manière dont il se devait d'être continué. Malgré de bons débuts dans le West End, j'ai toujours su que ce n'était pas là ou ma vie se devait se jouer. Londres est magnifique, ce n'est pas quelque chose que je pourrais contester même avec le temps. J'aime son ouverture d'esprit, sa tolérance, son excentricité qui ne tombe jamais dans l'exubérance... J'aime aussi rejoindre le caffè nero du quartier après une marche rapide sous la pluie, tout comme le thé rugueux qui colore les tasses. Mais Londres a ses limites. Après avoir joué Marius, Raoul et Danny et dansé dans quelques ensembles, l'appel de Broadway a été plus fort que le reste.

Je ne sais pas vraiment à quoi je m'attendais quand j'ai migré pour New York. Les couleurs, les lumières. Cela n'avait rien à voir avec tout ce que j'avais pu connaître avant. C'était magnifique vraiment, mais pas aussi facile que je me l'étais imaginé. A New York la compétition est rude, plus rude qu'ailleurs. Je ne suis pas dans les plus mauvais, mais pas non plus l'une de ces étoiles montantes de Broadway. Il faut désormais viser plus haut, travailler plus, mais le rêve n'a jamais paru si doux, si accessible. Ma vie prend un tournant important loin de Londres, de mes querelles avec Stowe qui finissent toujours très mal, du reste. Un moment avec soi-même, le moment de réaliser un rêve d'enfant. Broadway, wait for me, I'm now Sonny.