« Je suis désolé Maggie. Combien de fois est-ce que je dois te le dire encore avant que tu arrête de hurler dans ce foutu téléphone?... T'aurais voulu que je fasse quoi dit-moi? Que je te la laisse dans les jambes pendant que tu profites de ton crétin de petit copain?... Ouais je sais. Elle m'a dit. Elle me parle plus qu'à toi visiblement, mais avec une cinglée comme toi en guise de mère faut pas s'en étonner... Moi je suis un salaud? Je te rappelle que c'est toi qui me l'a laissé trois semaines entière parce que tu avais sois disant beaucoup de boulot. Tu étais un peu trop bronzé pour quelqu'un de débordé par le boulot. J'espère que ça en valait la peine... C'est ça oui, je te crois que c'était en salon. T'as jamais fait ça de ta vie... Qu'est-ce que j'en sais? Je te rappelle qu'on a été marié un peu trop longtemps... C'est ça hurle encore. Bordel j'en ai marre... Ma mère garde la petite seulement quelques jours et tu me fais une crise pas possible. Je travaille moi. Je fais pas semblant simplement pour me taper le premier venu... C'est ça. Fait donc. Va retrouver cet imbécile. Je te la ramène la semaine prochaine... »

J'ai raccroché avant de lancer mon téléphone à l'autre extrémité du canapé. J'en ai plus qu'assez de toute cette merde, mais j'en suis plus que responsable. En fait, je ne l'étais pas quand c'est arrivé, responsable. Ça remonte à 13 ans maintenant cette nuit où Maggie et moi on a un peu trop abusé de la bouteille. On était dans le début de notre petite vingtaine et on voulait profiter de ce qu'il nous restait de cette jeunesse qu'on gaspillait à grandes gorgées au goulot et grandes inspirations de cette fumée qui nous calcinait les poumons. On était le parfait exemple des jeunes adultes qui ne veulent simplement pas accepter que la vie les attend avec une baffe pour leur faire comprendre que ce n'est pas que fête et bon temps l'existence. C'est plus que ça. Beaucoup plus que ça, mais on ne l'a pas écouté la vie. On ne voulait pas. On voulait simplement vivre. On voulait survivre. On avait pas de mauvaises vies. On était simplement comme ça. Elle était issue d'une famille tout ce qu'il a de plus normale et aimante et moi de même. Mes parents ne font rien d'extraordinaire de leurs vies. Mon père est dentiste, ma mère secrétaire dans un bureau pour un connard qui se croit un peu trop au-dessus de tout le monde. Tout ce qu'il a de plus normal. Moi je n'étais qu'un ado rebelle avec des notes de merde. Le classique.

Ce soir là par contre... ou plutôt quelques semaines après ce soir-là, elle est arrivé la baffe de réalité et elle ne m'a pas raté. Maggie m'a montré le test positif, les yeux rougis d'avoir chialé toute la nuit et je suis resté complètement sans mots. On s'était réveillé le lendemain sans réels souvenirs de notre soirée, même si on avait un doute. On savait bien ce qu'on avait fait. On ne pensait pas avoir été suffisamment ivres pour avoir oublié ça. On ne pensait pas avoir été suffisamment cons pour se coller un gamin dans les bras, mais c'est arrivé. Elle est arrivé neuf mois plus tard la gamine avec sa petite tête toute joufflue et son grand sourire. Elle était belle cette gamine, mais ça ne suffisait pas. On avait pas réellement de boulots si ce n'est de petits emplois merdiques par-ci par là. On avait nul part ou vivre. On était complètement paumés avec notre gamine. Nos parents ne nous ont évidemment pas laissé tomber. Ils sont trop sympas pour ça. Mon père nous a aidé à nous loger et a payé un moment jusqu'à ce que j'arrive à faire quelque chose d'un peu plus potable de mes dix doigts alors que ses parents à elle s'occupait de la gamine, de tout ce qu'il fallait acheter pour qu'elle ne manque de rien. Ça a été difficile. Dire le contraire serait mentir. On a tout de même réussi à faire quelque chose de notre existence. Enfin, plus moi qu'elle. Elle ne s'est jamais réellement bougé pour offrir quoi que ce soit à cette gamine. La baffe de réalité m'a claqué de plein fouet alors que de son côté elle semble simplement l'avoir effleuré.

Elle changeait de boulot aux mois, si ce n'est aux semaines. Rien ne semblait lui convenir. Rien n'était suffisant pour cette idéologie surdimensionnée qu'elle avait imaginé en guise d'existence. Elle croyait sans doute qu'elle trouverait un mec avec du fric à ne pas savoir quoi en faire et qu'elle se coulerait la belle vie. Elle était coincée avec moi. Moi qui, de mon côté, fouillais les journaux pour trouver un cours pas trop long à faire qui m'ouvrirait la porte sur un salaire un peu plus respectable que celui que j'avais à faire des livraisons pour une grosse compagnie. Le jour où m'a mère a déposé cette petite annonce pour un cours de couture sur la table je me suis sérieusement demandé si elle se moquait de moi, mais elle a dit que non. Quelques heures à peine de cours réparties sur un mois et j'arriverais à faire quelque chose de mes doigts. Littéralement. Qu'est-ce que j'avais à perdre? Alors j'y suis allé, pour lui faire plaisir. J'ai essayé et étonnamment... J'ai sans doute un peu trop apprécié. J'ai commencé à faire des vêtements pour Sybil, pour notre petites Sybil qui devenait trop rapidement notre grande Sybil. Ça nous permettait de sauver quelques dollars en ayant plus à acheter ses vêtements hors de prix en magasin. C'est aussi ce qui m'a permis de trouver un nouveau boulot après quelques années de pratique. Le théâtre de Chicago cherchait quelqu'un pour réaliser des costumes et j'ai levé la main. Je n'avais pas la moindre expérience dans le domaine, mais ils m'ont tout de même donné une chance. Ça remonte à huit ans tout ça. C'est dire comme j'ai fait du chemin depuis. J'ai surtout gagné une expérience considérable et ça c'est à ne pas négliger.  

Le salaire n'était pas faramineux, mais il était étonnamment plus élevé. Suffisamment pour qu'on puisse emménager dans plus grand, qu'on puisse vivre de façon plus respectable et que les études de la gamine soient payés sans mal. La gamine qui, tout comme moi d'ailleurs, commençait à avoir du mal à supporter sa junkie... alcoolique... de mère... que j'ai tout de même marié. Fait un homme de toi. C'est ce que mon père m'a dit quand toute cette merde semblait stabilisée. Alors je l'ai fait, simplement parce que ça me semblait être la chose à faire. Une erreur. Un calvaire. Si moi j'ai gagné en maturité, si j'ai compris que je ne pouvais plus me permettre d'être l'adolescent qui fait ce qui veut de sa peau parce qu'il a une enfant à sa charge maintenant, c'était pas son cas. Elle n'a jamais avancé. Elle jouait les serveuses dans un petit bar quand elle arrivait à tenir debout et malgré tout ce que j'ai pu faire pour elle... Jamais elle n'a lâché la drogue, l'alcool et tout ça. Le bel exemple pour la gamine, mais elle s'en moquait. C'était ma faute, c'était ma responsabilité.

Ça a duré encore quelques années, lui huit dernières années plus précisément. Huit ans avant que je me force à penser que ma gamine de 13 ans pourrait comprendre que son père se sépare de sa mère et que de rester avec elle n'était assurément pas pour notre bien à tous les deux. Valait mieux nous avoir séparés qu'ensemble, c'était une évidence. Oh j'ai bien essayé d'avoir la garde exclusive, de faire peser le fait que sa mère n'est qu'un déchet humain, mais elle a tout de même réussi à avoir la garde une semaine sur deux. On se demande bien pourquoi elle s'est tant battu alors qu'elle en avait visiblement rien à faire de cette enfant. Je n'ai pas eu mon mot à dire. Le juge a tranché et c'était comme ça. J'ai pris mes affaires, je lui ai promis à cette gamine de ne pas la laisser tomber, et je suis parti à New York. J'y ai vu une nouvelle opportunité de boulot. J'ai essayé et on m'a tendu la main alors je l'ai attrapé.

C'est donc là où j'en suis en ce moment. Je viens de rejoindre la troupe des Misérables pour confectionner les costumes. Je viens de me trouver un petit appartement. J'ai la garde de ma gamine une semaine sur deux et je me prends la tête avec sa cinglée de mère trop souvent. Surtout parce qu'elle ne supporte pas que j'essaie désespérément de récupérer la petite parce que ce que sa mère lui donne, c'est tout sauf une vie.