« Tu es en retard. » Lança Sarah alors qu’il finissait juste d’enfiler une veste hors de prix, toujours dubitatif quand à l’air que cette tenue lui donnait.

Vieux. Oui, c’était ça le mot qu’il cherchait. Mais Jonah ignora tout, son propre reflet dans le miroir, sa femme, le fait qu’il avait juste envie d’en finir et ce le plus vite possible et il finit par s’asseoir sur la chaise qui venait d’être tirée pour lui et il laissa la maquilleuse faire son travail. Cacher les rides, n’est-ce pas ? Non, il était déjà de mauvaise humeur et il n’aimait pas particulièrement ça. Il y avait quoi… quelques cheveux blancs dans sa barbe après trois jours et pareil dans ses cheveux, certaines répétitions parfois finissaient par l’épuiser et il ne pouvait pas faire son jogging habituel avec autant de facilité qu’avant… mais non. Jonah Webb n’était pas vieux, il n’était pas fini, il n’était pas un has-been.

« Tu sais à quel point c’est difficile de trouver du temps pour un photoshoot, entre les fois où tu ne te pointes pas et les moments où tu as des répétitions… J.J, tu ne rends pas les choses faciles ça, j’espère que tu t’en rends bien compte. » Le surnom lui arracha un sourire, Sarah était la seule personne qui avait le droit de l’appeler comme ça et avec les années, le surnom servait soit à le réprimander, soit pour le calmer quand il décidait que le monde avait besoin qu’il fasse son show et qu’il se montre exubérant au possible. Chose qui arrivait une fois tous les trois mois, quand ça lui prenait de racheter un bar de la Cinquième Avenue juste parce qu’il le pouvait, ou de crasher un défilé de chez Valentino parce qu’il aimait bien la coupe des costumes. Parfois Jonah était imprévisible et Sarah était la seule personne qui arrivait à le rappeler à l’ordre. Avant, un simple regard suffisait mais les années étaient passés par là, avait déposé de la poussière sur leur mariage et parfois elle paraissait loin. Comme maintenant alors qu’elle pianotait sur son téléphone, probablement en train de s’occuper de la carrière de quelqu’un de plus prometteur.

Jonah bougea, ignorant le regard agacé de la jeune femme aux cheveux rose qui devait s’occuper de son maquillage, et en profita pour saisir le poignet de sa femme. Le geste était quotidien, Sarah le connaissait et elle baissa les yeux afin que leur regard se croise et Jonah poussa un soupir et lâcha un simple « Je suis désolé. Merci pour tout ce que tu fais. » Et comme à chaque fois Sarah se contenta d'un bien maigre sourire et d'hocher la tête. L'incident était déjà oublié et le couple pouvait continuer sa conversation. Une conversation que Sarah continua seule, le tenant informé de son emploi du temps pour les semaines à venir, ils n'allaient pas se voir, ou que très peu. Une chose dont ils avaient tous les deux l'habitude. Pendant un instant, Jonah se demanda s’il y avait quelqu'un qui l'attendait à Los Angeles. Si elle aussi elle retrouvait les draps d'un autre ou plutôt d'une autre. Il imaginait Sarah fidèle mais peut-être qu'il se trompait, lui ne l'était pas avec une certaine honte et une partie de lui aurait voulu se confier, lui parler de Camille, de Lyle, de la confusion qui régnait dans son esprit... mais c'était impossible, plus que d'être sa meilleure amie, elle était sa femme et son âme soeur et il ne pouvait pas la blesser de la sorte.

Alors comme à chaque fois, Jonah se taisait et il répondait seulement qu'elle allait lui manquer. « Oh ce n'est que huit jours, on a fait pire crois-moi... et je ne te retiens pas plus, le photographe t’attend déjà. » L’homme se leva à ses mots-là, presque amusé par le couic qu'avait lâché ses chaussures italiennes toutes neuves. « Et Jonah… ? Try to be yourself okay ? » Ce dernier conseil eut au moins le mérite de le faire rire, Sarah savait que ce n'était pas quelque chose qui était facile à faire pour Jonah. Près de dix années passées au pays de l'oncle Sam l’avaient changé à jamais. Il savait ce que ses fans attendaient de lui, ce que les metteurs en scène recherchaient, ce que les journalistes voulaient entendre… Toujours le même refrain, sur sa vie si parfaite et ce succès qu'il n'avait jamais attendu mais qu'il était parti chercher. Il était Jonah Webb, la légende, le roi du cool, celui qu'on invitait toujours pour s’assurer de faire du chiffre avec les minorités, celui qu'on tolérait toujours à défaut de vraiment accepter… Alors être lui-même ? Ce n'était plus vraiment une option.

Personne ne voulait entendre comment on lui avait claqué les portes au nez à son retour d'Hollywood, comment il avait été frustré de ne jamais gagner d’Oscar à cause de ce qu'il savait être un racisme sous jacent, ou comment il revoyait les larmes sur le visage de Sarah ce jour-là à l'hôpital alors qu'ils avaient dit au revoir à l'une des seules chance qu'ils aient eu d'être parents…

« Monsieur Webb, ravi de vous voir enfin. Ou alors c'est Jonah ? On va commencer par quelques photos classiques et on va vous filmer également si ça ne vous dérange pas... je suppose que les caméras ne vous dérangent pas ? »

Non, être lui-même n’était plus une option depuis longtemps.